Le 24 février, le Cercle Montesquieu présentait ses propositions aux candidats à l’élection présidentielle. Elles s'articulent autour de trois axes de réflexion sur la place du droit dans l’économie et évoquent plusieurs mesures soutenues par les directeurs juridiques membres de l’association. Le point avec Olivier Belondrade, vice-président du Cercle.
Quelle est la genèse du projet ?
Gestion d'entreprise
La gestion d’entreprise constitue l’essentiel de l’activité d’un dirigeant d’entreprise. Elle fait appel à un grand nombre de notions empruntées de la comptabilité, de la finance (gestion des risques au moyen de la gestion des actifs et des assurances professionnelles), du droit des affaires (statut juridique, contrats commerciaux, fiscalité, cadre réglementaire et légal de l’activité), de la gestion de ressources humaines...
Nous avons étudié les programmes de tous les candidats. Nous nous sommes alors rendu compte que le droit pris dans une perspective économique était absent. Les propositions en matière de droit pénal sont très nombreuses alors que le droit économique est inexistant. C’est la raison pour laquelle, nous, Cercle Montesquieu, qui voyons le droit comme un outil au soutien de l’économie et de l’entreprise, nous avons voulu pallier cette carence et faire des propositions.
Le Cercle Montesquieu regroupe un large spectre de membres (aussi bien des sociétés du Cac 40 que des ETI, des sociétés implantées en région parisienne mais aussi en province). Nous avons donc souhaité faire des propositions qui répondent aux besoins de l’ensemble des entreprises. Nous avons lancé une consultation « bottom-up » avec un « wall ». Les membres y ont posté leurs idées de propositions : des sujets qu’ils ont identifiés comme importants à mettre en valeur dans le cadre de l’élection présidentielle 2022.
Le premier axe défendu par le Cercle est celui de faciliter l’usage du droit au service de la croissance de l’économie française. Qu’entendez-vous par là ?
L’idée sous-jacente est d’aboutir à un droit prévisible et à une justice efficace et pragmatique. Cela répond à beaucoup de difficultés auxquelles sont confrontées les entreprises. Nul n’est censé ignorer le droit. En réalité, quand vous êtes juriste dans une entreprise du CAC40, cela peut se gérer. Pour une entreprise de taille intermédiaire, c’est plus compliqué. D’où l’exigence de prévisibilité et de simplicité que nous formulons.
Seconde proposition : dans le cadre d’un contentieux, on attend de la justice qu’elle soit efficace. L’affaire ne doit pas forcément être portée devant un tribunal mais doit pouvoir être traitée de manière négociée. L’idée est donc d’élargir le recours à cette justice négociée, quel que soit le domaine (en droit pénal ou commercial, par exemple).
Nous avons aussi besoin de juge mieux formés. Nous avons les juges de commerce qui connaissent les problématiques des entreprises et c’est une grande force. Mais les magistrats professionnels que l’on rencontre en appel du tribunal de commerce n’ont pas la même culture économique et de l’entreprise. Le droit dans l’entreprise, c’est avant tout un outil économique, bien plus que des grandes questions de principe.
Ce sont ces idées-là que nous souhaitons voir avancer et privilégier par les candidats : promouvoir la simplification réglementaire, favoriser la justice négociée, donner des moyens à la justice commerciale, améliorer la digitalisation. Prenons l’exemple de la digitalisation : la justice se digitalise mais le résultat est « contrasté » comme l’a indiqué la Cour des comptes dans son rapport sur cette question. Cela ne veut pas dire qu’il faut arrêter. Au contraire il faut aller plus loin, faire mieux.
Il faut aussi simplifier les compétences des tribunaux en matière commerciale entre le tribunal de commerce et le tribunal judiciaire, afin que les justiciables s’y retrouvent plus facilement.
Vous préconisez une simplification réglementaire et législative. Sous la présidence de François Hollande mais aussi d’Emmanuel Macron, des lois de simplifications ont été adoptées au Parlement. Pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas ?
Ce qui est important, c’est plus l’état d’esprit du législateur que la loi de simplification en elle-même. La loi de simplification ne simplifie pas toujours. Parfois elle supprime des dispositions qui sont désuètes mais ce n’est pas une vraie simplification. Aujourd’hui, ce qui est important pour l’entreprise en termes de simplification, c’est de s’attaquer au problème suivant : lorsque l’on crée une règle, il est nécessaire d’analyser le sujet de manière holistique. Il faut réaliser un bilan coûts/avantages quantifiant les aspects financiers, sociaux, sociétaux, aussi bien positifs que négatifs.
Il faut plus souvent avoir recours à des barèmes - sur les questions de la méconnaissance des règles de droit économique, par exemple - car l’entreprise aime la prévisibilité. De même, lorsqu’un nouveau texte est envisagé, il convient de prendre en compte l’avis des professionnels en consultant notamment les associations de directeurs juridiques. Ils peuvent donner un avis sur l’opérationnalité de la règle. Car une règle inapplicable est inutile. L’entreprise a besoin de règles applicables, efficaces qui puissent être mises en œuvre facilement. Les lois de simplification en sont encore très loin.
Vous prônez une part plus importante pour la justice négociée. Ces dernières années, avec la CJIP - introduite par la loi Sapin II, puis élargie au contentieux environnemental - et la promotion de la médiation - notamment par la loi Belloubet - la négociation a gagné du terrain. Cela ne va-t-il pas encore assez loin ?
Il est en effet possible d’aller plus loin. On peut et on doit élargir les cas d’usages. Mais ceci ne doit pas se faire au détriment des droits de la défense. L’entreprise est le parent pauvre des droits de la défense. Aujourd’hui, une entreprise lorsqu’elle demande conseil à ses juristes internes ou lorsqu’elle fait une enquête interne cela va dans le sens de l’amélioration de l’application de la règle de droit. La prévention est une étape nécessaire de l’efficacité de la règle de droit. Or, aujourd’hui, cette bonne volonté là peut se retourner contre l’entreprise. Lors d’un contrôle, lors d’une enquête de police, les éléments relevés par la direction juridique de l’entreprise peuvent se retourner contre cette dernière. Le directeur juridique peut voir ses propres conseils utilisés contre l’entreprise ce qui n’est pas acceptable dans une démocratie, mais j’y reviendrais plus tard si on aborde la question du legal privilege.
Concernant la compétence des tribunaux de commerce que vous aimeriez voir élargie : ce n’est pas ce choix qui a été fait pour le contentieux relatif au devoir de vigilance lors des débats sur la loi portée par Eric Dupond-Moretti. Comment l’expliquer ?
Aujourd’hui lorsqu’on évoque la justice, on pense à la justice professionnelle. C’est celle que le citoyen connaît le mieux. La justice commerciale, celle des entreprises, est peut-être moins connue. Ce que nous regrettons, c’est l’éparpillement du contentieux concernant les entreprises. Nous souhaitons qu’il y ait une justice économique avec un guichet unique. Cela donnerait de la simplicité, de l’efficacité et de la prévisibilité. Par exemple, les questions de baux commerciaux ou de propriété intellectuelle obligent à aller devant un juge, puis un autre, suivant l’orientation que prend le contentieux. Cela représente un coût et de la complexité pour les entreprises sans générer de plus-value en termes de justice.
Vous défendez la mise en place d’un statut d’avocat en entreprise. Durant le quinquennat d’Emmanuel Macron, cela a été évoqué sans succès, une nouvelle fois. Quelle est la position des candidats sur ce sujet ?
Ce sujet nous semble important pour le Président Macron et nous nous en félicitons. Par deux fois, il a tenté d’avancer sur cette question : une première fois en tant que ministre de l’Economie – dans le cadre des débats sur la loi dite Macron – et une seconde fois en tant que Président de la République – avec le projet du garde des Sceaux suivant en cela les recommandations du député LREM, Raphaël Gauvain. Pendant longtemps, cette question a été vue dans une perspective de pré carré, une question de corporatisme. La problématique sous-jacente était celle-ci : certains barreaux croient à tort que cette réforme va fragiliser les avocats.
Pour nous, le débat est extrêmement mal placé. Le Cercle a été soutenu par les Barreaux de Paris et des Hauts-de-Seine sur ce sujet. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que la question de la création de richesse collective et des droits de la défense devaient primer sur les corporatismes. Le Cercle, ainsi que d’autres acteurs du monde du droit, a produit une analyse économique du marché du droit. Elle fait ressortir la place méconnue du droit dans notre économie et dans la création de valeur. En valeur, la filière juridique correspond à plus de 20% de l’industrie manufacturière en France et deux fois plus que le secteur du transport aérien ou de la publicité. Pourtant, son poids médiatique et politique n’est pas le même. La mise en place du legal privilege créerait entre 700 et 850 millions d’euros de valeur économique complémentaire. C’est colossal, d’autant plus en période d’inflation et de tension sur l’économie.
Les autorités de contrôles, comme le Parquet national financier ou le Trésor, sont défavorables à la mise en place de l’avocat en entreprise. Un statut qu’elles perçoivent comme pouvant faire entrave à leurs enquêtes et aux sanctions qu’elles pourraient imposer. Que répondez-vous à cet argument ?
Chacun est dans son rôle. Le legal privilege ne vas pas rendre le contrôle impossible. En Allemagne, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, pays où le legal privilege existe, la délinquance économique n’est pas moins poursuivie et réprimée qu’en France. Le legal privilege ne va pas interdire aux autorités de contrôle d’exercer leur mission. Le problème est qu’il va les obliger à changer leur façon de travailler. C’est plutôt cela qui est en jeu. On travaille en ce sens avec les équipes de campagne des candidats.
Vous demandez une meilleure définition et un meilleur encadrement de la répartition des rôles entre les assemblées d’actionnaires et les conseils d’administration sur les questions de RSE. C’est-à-dire ?
Aujourd’hui on est dans une démarche assez formelle. Nous avons le « say on pay » et on parle de plus en plus du « say on climate ». Cela génère de la transparence. Cela initie le débat. Ce que nous cherchons au Cercle Montesquieu ce sont des solutions opérationnelles qui permettent à l’entreprise de créer de la valeur tout en répondant aux attentes sociétales. Il faut trouver le bon équilibre entre l’avenir de notre société, des générations futures et l’emploi et la richesse d’aujourd’hui. On pense que cela peut s’obtenir par une meilleure répartition des rôles entre les assemblées générales et les conseils d’administration. Il faut laisser au conseil d’administration de l’entreprise le soin de fixer sa stratégie, de la développer, tout en aillant un vrai dialogue sociétal, sur la base d’informations précises et circonstanciées qui sont fournies aux actionnaires. Par ailleurs, ces échanges doivent être fondés sur une analyse globale du contexte et de l’environnement compétitif dans lequel s’inscrivent nos entreprises et non sur de purs principes idéologiques. La guerre en Ukraine nous rappelle cela.
Vous évoquez le sujet de la parité au sein des entreprises. La loi Rixain, récemment votée, ne va-t-elle pas suffisamment loin ?
La mise en place de quotas a été un facteur d’évolution. Faut-il aller plus loin en termes de quotas, la question fait débat, notamment pour des considérations opérationnelles. Pour le Cercle Montesquieu, une des voies qui pourraient être privilégiées serait d’étendre l’obligation de présentation des candidatures féminines pour toute nouvelle nomination aux fonctions clés de l’entreprise. Pour nous, il faut aussi mettre en place une culture de la diversité, de l’inclusion qui ne s’arrête pas à la question de l’égalité femmes/hommes, mais qui traite aussi la question du handicap, notamment. Nous aurons ainsi des entreprises qui seront le reflet de notre société.
Avez-vous communiqué vos propositions aux différents candidats ?
Nos positions ont été adressées à tous les candidats. Nous avons eu plusieurs retours. Nous commençons à rencontrer certaines équipes et espérons échanger avec tous. Notre programme est trans-partis car son point de mire est la France, sa croissance, sa compétitivité, sa souveraineté et ses enjeux sociétaux.
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